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mardi 19 mars 2024

La cuisson des légumes et des fruits

 
Nous cuisons de la choucroute? des endives ? Comment nous y prendre ? 

 

Quand on regarde en ligne des recettes de cuisine, on reçoit des protocoles qui nous disent comment faire mais qui ne nous disent pas pourquoi faire comme ils le proposent. 

Et de fait, leurs indications sont  souvent illégitimes, ou prétentieuses, voire fausses. 

Je crois qu'il est  préférable de réfléchir un peu, et de commencer les recettes par une réflexion sur les objectifs et les moyens de les atteindre. 

Par exemple, la cuisson d'endives (pour des endives braisées au jambon par exemple) :  c'est un légume de fort diamètre, ce qui signifie qu'il faudra un temps notable pour que la chaleur parvienne jusqu'au centre et qu'elle ait quelque chance d'attendrir le tissu végétal.
Car c'est bien là l'objectif : dans la recette que nous visons, on ne mange pas une salade d'endives mais bien plutôt des endives braisées, cuites, attendries. 

Inversement, avec de la choucroute, le chou est déjà divisé en petits filaments, de sorte que cette fois, l'objectif est moins d'atteindre le cœur du tissu végétal que de l'attendrir. 

Et la comparaison de ces deux cuissons montre qu'il y a deux phénomènes essentiels dont il faut tenir compte très généralement pour la cuisson de légumes : 

- faire augmenter la température jusqu'au coeur du tissu, d'une part

-  et assurer son attendrissement d'autre part.


Pour le premier ; les cuissons par conduction sont lentes parce que les tissus végétaux sont faits essentiellement d'eau, qui n'est pas un bon conducteur de la chaleur. Mais on peut imaginer évidemment d'autres modes de cuisson où la chaleur ne sera pas communiquée par conduction, telle la cuisson dans un four à micro-ondes, où l'énergie est déposée dans tout l'ingrédient. 


D'autre part, il y a l'amollissement des tissus végétaux, et cela correspond cette fois à une réaction qui s'appelle beta élimination des pectines : car les tissus végétaux sont faits de cellules (de petits sacs emplis essentiellement d'eau), jointoyés par une sorte de ciment, la paroi cellulaire, qui est faite de sorte de pylônes indestructibles, les molécules de cellulose, réunis par des "câbles", à savoir les molécules de pectine. 

La dégradation par la chaleur des molécules de pectine, qui permettra ensuite la séparation des cellules, est une réaction chimique lente, et c'est la raison pour laquelle, si même la chaleur arrive rapidement dans la choucroute, il faut un certain temps de cuisson pour que cette dégradation de la paroi cellulaire ait lieu.

Combien de temps faudra-t-il ? La réponse dépend à la fois du type de tissu cellulaire et de notre goût. Il y a des tissus plus durs que d'autres, pour lesquelles une cuisson doit être prolongée (comparons du coing, d'une part, et de tendres petits pois, d'autre part) et il y a notre goût qui veut des légumes plus ou moins tendres.

vendredi 23 juin 2023

Cuire des légumes en milieu acide

  "On dit" qu'il ne faut pas cuire des légumes dans une eau acidifiée... Vrai ou faux ?
 
 Dans un tel cas, j'aurais tendance à ne pas répondre, mais à vous inviter à expérimenter.
 Par exemple, vous pourriez prendre trois casseroles, et y mettre de l'eau pure pour l'une, de l'eau acidifiée avec du vinaigre cristal pour la deuxième, et de l'eau avec du bicarbonate de sodium, ou de la soude, pour le troisième (ne pas goûter la troisième !!!!!!!!!). Puis vous ajoutez des lentilles, ou des carottes, et vous portez l'eau à ébullition, pendant un certain temps.
 Le résultat ? Des amis internautes m'ayant reproché de questionner au lieu de répondre aux questions, je vous donne le résultat : pour certaines conditions expérimentales (vous voyez comme je suis prudent), les lentilles ou les carottes cuites dans du vinaigre sont comme des cailloux, alors que les végétaux cuits dans le bicarbonate ou la soude sont complètement défaits. En effet, je propose d'imaginer que le tissu végétal est fait de petits sacs, qui sont tenus par les molécules de pectines. Les cellules sont solidaires de cellulose (pensez à de gros piliers inaltérables), et les pectines sont comme des cordes enroulées entre les divers piliers, ce qui lient les cellules entre elles, et fait les matériaux durs.
 Quand on cuit en milieu basique (le bicarbonate, la soude), les pectines sont chargées électriquement, et elles se détachent les unes des autres, notamment, d'où l'amollissement.
 En revanche, en milieu acide, on a un effet inverse.
 
 Et avec des viandes ? Avec des viandes, vous pouvez également faire l'expérience, et vous verriez un effet bien différent... mais il est vrai que toute l'explication précédente ne tient alors plus : pas de pectine dans les viandes ! Là les fibres musculaires, qui sont les cellules des viandes, sont jointoyées par du tissu conjonctif, lequel est fait de protéines. Or les protéines sont hydrolysées en milieu acide. Michael Faraday, le grand physico-chimiste, avait donc raison : ne pas généraliser hâtivement !

samedi 18 décembre 2021

Quels commandements pour la cuisson des légumes ?

Les légumes sont des parties de végétaux, comme les fruits, mais contrairement à ces derniers, ils n'ont pas tous les sucres qui sont appréciés par les animaux : ces derniers sont "manipulés" par les plantes, dont  ils disséminent  les semences.

Mais les plantes doivent aussi protéger les parties vitales : des composés phénoliques variés des végétaux sont amers ou astringents.

En outre, les parties non-fruit des plantes doivent aussi, souvent, assurer la structure de la plante, d'où des composés de structure, qui rigidifient les plantes. Il s'agit des "fibres", notamment dans les ciments intercellulaires, mais aussi de divers polysaccharides : celluloses, hémicelluloses, pectines.
Sans compter la lignine, qui donne beaucoup de rigidité

Bref, il y a lieu d'attendrir, d'amollir les légumes, notamment en dégradant  la paroi végétale.
Et il faut lutter contre l'amertume et l'astringence.
 

samedi 27 février 2021

Des classifications ? A condition qu'elles soient utiles !

 Se pose à nouveau à moi, aujourd'hui, la question des référentiels et des examens pour les cuisiniers.

Il y a quelques années, j'avais combattu une classification fautives, qui évoquait des "cuissons par concentration" (alors qu'il n'y avait de concentration) et des cuissons dites "par expansion", où n'y avait pas non plus ce qui était dit dans le nom.

Je m'aperçois aujourd'hui que je n'ai pas pris le mal à la racine... car, au fond, pourquoi cette classification ?

Un ancien formateur me dit aujourd'hui :
"Mais en fait, jamais je n’ai entendu dans une brigade dans la bouche d’un chef ordonner de cuire par expansion etc. C’était appris pour le savoir le jour de l’examen. Donc une théorie totalement inutile."

Donc non seulement c'était faux, mais c'était de surcroît inutile ? De qui se moque-t-on ?

Et puis, quand même, y a-t-il tant de types de cuisson qu'il faille en faire une catégorisation ? On compte les cuissons sur les doigts d'une main : rôtissage, poêlage (dans un poêlon), sauté (dans une poêle), étuvage, cuisson à la vapeur, grillades...

Surtout, quel service une catégorisation peut-elle rendre ? Si elle ne rend pas un service pratique, alors il est idiot de l'utiliser. C'est de la pédanterie (quand c'est juste), ou un scandale (quand c'est faux).

Pour autant, on comprend que l'enseignement culinaire ne doive pas montrer seulement de la technique, mais s'élever à de la technologie, plus puissante.

De sorte que se pose la question de voir plus loin que le geste technique. Voir quoi ?

Comparons un pot-au-feu et un poulet rôti : on voit bien une différence, à savoir que le poulet devient croustillant et brun, alors que la viande de pot au feu devient grisâtre et molle (dans les bons cas). Si l'on analyse, ce n'est pas la question du brunissement qui est première, mais le fait que, à plus de 100 degrés (pour le rôtissage), l'eau de surface s'évapore, et la viande croûte ; ce qui ne se produit pas dans le cas du pot-au-feu.

Et c'est la raison pour laquelle, dans Mon histoire de cuisine, j'ai proposé 14 commandements aussi fondamentaux que simples, et véritablement "technologiques", car il donnent es véritables clé de la technologie culinaire au lieu d'être des mots de plus de trois syllabes prétentieusement plaqués sur les notions variables et floues.

Aujourd'hui, la question se pose à nouveau à propos de la cuisson des légumes et, de nouveau, je dépiste des terminologies foireuses.

Mais il se trouve que au même moment, je vois pour la pâtisserie des incohérences... avec le même phénomène d'interprétations technologiques fautives. Là encore, je retrouve la prétention qui ne prend pas la technologie au phénomène, mais introduit des terminologies fautives.

Il y a donc lieu de mener un grand combat, de faire un grand ménage et si nos élèves gagnent à savoir faire des gestes particuliers tels que rôtir, sauter, et cetera, il y a surtout à donner les clés technologique, car,  je le répète,  pour la pâtisserie, il y a surtout dans deux idées,  à savoir que
1. quand on m'alaxe de la farine et de l'eau, on obtient une pâte de plus en plus ferme,  parce que des protéines liées par de l'eau forment un réseau, nommé "réseau de gluten", 2. si l'on ajoute du sucre à une pâte ferme, elle perd sa fermeté, s'effondre,  parce que le sucre capte l'eau pour former un sirop dans lequel les grains d'amidon sont dispersés.
Arrêtons-nous là, et on aura déjà rendu bien service !

mercredi 10 février 2021

Oublions définitivement ces idées fautives de "concentration" et d' "expansion"... pour les légumes comme pour les viandes ou les poissons !



Oui, décidément oui, la "théorie culinaire" doit être révisée, quand elle est fautive. Ce matin, j'ai le bonheur de recevoir un premier message, qui me permet de donner à tous nombre de commentaires... qui permettront de réfuter une fois de plus cette classification tout à fait fautive qui parlait de "concentration" quand il n'y en a pas, et d' "expansion" quand il n'y en a pas non plus.

Je pose en préalable que les mots ont un sens défini par le dictionnaire, et non pas par nos envies individuelles. Et pour ceux qui ont besoin d'un bon dictionnaire, je recommande absolument https://www.cnrtl.fr/. J’ajoute que, pour de la transmission (ce qui prend parfois la forme d’ « enseignements »), cette question de l’inter-compréhension est évidemment essentielle : non seulement nous devons parler justement, mais, de surcroît, nous devons nous assurer que nos interlocuteurs nous comprennent bien, alors même que leur capacité à comprendre bien les mots n’est peut-être pas de beaucoup supérieure à la nôtre ( ;-) : on comprend que, même pour un sujet aussi sérieux que celui que je traite aujourd’hui, je reste souriant).



Voici donc, d'abord, le message général, que je vais reprendre ensuite, ligne à ligne, phrase à phrase, mot à mot :


Vous avez contribué, il me semble, à remettre en cause la classification traditionnelle des modes de cuisson : concentration/expansion/mixte. En effet cette classification ne marche pas pour une cuisine à base de viande.

Mais pour la cuisine végétale, celle-ci ne garde-t-elle pas encore toute sa pertinence

Je n’ai en tout cas pas encore trouvé d’affirmations qui montre que cette classification ne marche pas pour le végétal. Mon choix de garder cette classification pour une cuisine à base d'ingrédients végétaux se base sur le fait que :

Cuisson par concentration

o La cuisson d'un aliment dans un milieu sec (rôtir, sauter, deshydrater…) concentre les goûts et certains parfums par évaporation de son eau de constitution.

o Durant une friture l’aliment aqueux va « se fermer » au contact de l’huile chaude et il va se colorer.

o Jeter un aliment dans de l’eau chaude à tendance à le saisir et à le fermer et à ainsi freiner la sortie de ses composés chimiques. Bien sûr dans la cadre d’une cuisson rapide.

Cuisson par expansion

o La cuisson longue d’un aliment dans un liquide fait sortir ses composés chimiques dans ce liquide.

o La cuisson du froid vers le chaud (pocher départ à froid) favorise la sortie les composés chimiques des aliments.



Et voici mes commentaires :


Pour ces commentaires, quelques indications préalables :

- je ne cherche pas à "dénoncer" quiconque, mais à diffuser de l'information juste : oui, me rendre un peu utile, aider mes amis...

- j'ai des dizaines, voire des centaines de publications scientifiques pour valider ce que j'avance : mais on comprendra que je ne les cite pas, que je ne les joins pas ici, sans quoi le texte deviendrait très indigeste ;

- je ne touche pas un centime à propos de ces questions, de sorte que je n'ai aucun "intérêt" à ne pas dire la plus stricte vérité : pas de conflit d’intérêts, pas d’intérêts… sauf peut-être les mêmes que ceux des philosophes des Lumières, car on sait mon admiration pour Denis Diderot ;

- en revanche, je reste un enfant très en colère contre certains professeurs qui ne se remettaient pas en question, ou contre ceux qui transmettent sans vouloir changer leurs pratiques quand elles sont mauvaises… et très reconnaissants envers les professeurs qui ont su se remettre en question (l'on voit que j'apprécie d'être questionné par mon interlocuteur dont je conserve l'anonymat), qui ont travaillé pour défricher le chemin de connaissance sur lequel je marchais. Oui, il y a une vraie belle responsabilité des professeurs !



1. "Vous avez contribué, il me semble, à remettre en cause la classification traditionnelle des modes de cuisson : concentration/expansion/mixte."


Oui, effectivement, j'ai combattu de toutes mes forces la théorie fautive des cuissons qui étaient dites « par concentration », « par expansion » ou « mixtes », précisément parce que cette théorie était très fautive et qu’il me semblait tout à fait déplacé de l'enseigner depuis des décennies. Quelle honte de l'avoir transmise à des jeunes ! Quelle paresse de l'avoir acceptée sans esprit critique !

Mais qu'importe, l'affaire est faite : grâce au soutien de l'inspection générale de l'Education nationale, grâce au soutien du ministre, nous avons réussi à changer les référentiels du CAP du BEP, après un passage par la Commission paritaire. Cela a pris plusieurs années, mais c'est fait : quel bonheur !



Pour expliquer la chose à ceux qui ne sont pas au courant, disons d'abord que l'on parlait (fautivement, donc) de "cuisson par concentration" pour évoquer les cuissons de type rôtissage au four. Et certains ajoutaient même que "les jus se réfugiaient à coeur".


Pourtant, il n’est pas possible que le jus migrent vers l’intérieur de la viande, parce qu’il n’y a pas de place pour cela. Une viande, c'est de l'eau prise dans la structure fibrillée de la viande. Où les jus (de l'eau, essentiellement) seraient-ils allés ? D’autant que l’eau est incompressible : la meilleure indication de ce fait, c’est que les garagistes parviennent à lever des voitures avec leur vérins hydrauliques, ce que l’on apprend dans les cours de physique du Collège, à condition de les suivre, bien sûr


D'autres disaient que les goûts se concentraient... mais ce n'est pas vrai : dans les rôtissages, les composés odorants ou sapides (et autres) qui sont formés par des transformations moléculaires (que certains nomment des « réactions chimiques ») sont à l'extérieur, cet extérieur brun qui est atteint par la forte chaleur du four (à l'intérieur des viandes ainsi cuites, la température est partout inférieure à 100 °C).


Enfin, pour mettre l’estocade finale à cette théorie fautive, il suffit de peser une viande que l'on rôtit : elle perd jusqu’à un tiers de sa masse (plus de 300 grammes pour un kilogramme initial)… parce qu’elle se contracte. Si l'on était de très mauvaise foi, on pourrait dire, vu que les jus sont exclus de la masse par la contraction du tissu collagénique, que la viande se concentre en viande... mais on verra plus loin que cela n'est pas une caractéristique du rôtissage et des autres types de cuisson qui étaient fautivement désignés par « concentration »... puisque l'on mesure la même contraction dans un pot-au-feu ;-)


J’y pense : avez-vous déjà regardé ce que signifie le mot « concentration » ?

La même théorie fautive faisait état de l’également fautive dénomination de "cuisson par expansion", pour les cuissons de type pot-au-feu.

Et là encore, c'était une erreur... puisque la viande se contracte quand on la chauffe, dans l’eau comme dans un four ! Et, comme précédemment, c’est le « collagène » qui fait cette contraction, laquelle presse la viande comme si l’on pressait une éponge, ce qui fait sortir les « jus ».

On le voit, donc, il n'y a pas d' « expansion » (de la viande), mais une sortir de certains composés en phase aqueuse, qui correspond à cette même expulsion des jus par la viande que la chaleur contracte.


D'ailleurs, dans un pot-au-feu, il n'y a pas seulement une contraction de la viande et une expulsion des jus : dans le bouillon, il y a des réactions, tout comme dans le fond du plat de cuisson au four (ce qui fait le résidu brun que l'on déglace parfois). J'ajoute que ces réactions ne sont pas les mêmes pour la viande rôtie et dans le bouillon, ce qui est évident quand on compare, à la dégustation, une viande bouillie et une viande rôtie... et j'ajoute que je propose que l'on considère qu'il y a nombre de réactions pour expliquer ce brunissement :

- des réactions de glycation (oubliez s'il vous plaît la terminologie « réactions de Maillard » qui est bien trop souvent enseignée de façon erronée)

- des déshydratations intramoléculaires des hexoses

- des thermolyses et pyrolyses variées.


Bref, s'il n'y a pas de concentration de quoi que ce soit dans les cuissons au four, dans les rôtissages, et s'il n'y a pas d'expansion dans la cuisson des viandes quand on fait un pot-au-feu, par exemple, alors, il n'y a rien de mixte, et toute cette théorie entièrement fantasmagorique doit être oubliée... et elle l'est, puisque l'Education nationale y a merveilleusement mis bon ordre. Ce qui appelle deux commentaires :

1. la France est pionnière de ce point de vue

2. si un professeur continuait (pourquoi, au fond ?) à l'enseigner ou à le faire dire à un examen ou à un concours, il pourrait être attaqué, et l’examen ou le concours annulé.



Cela, c’était pour les viandes, mais nous allons voir que, pour les légumes aussi, ces théories sont fausses, et d'ailleurs, elles n'ont jamais été établies par personne... puisque l'on serait bien incapable de les établir, étant donné qu'elles sont fausses.

Mais avant de passer à cela, j'ajoute -bien plus positivement- que l'on a recommandé, pour ceux qui veulent faire des catégories (mais faut-il vraiment en faire ?), de parler de cuissons avec brunissement ou sans brunissement.




2 "En effet cette classification ne marche pas pour une cuisine à base de viande."


Il ne s'agit pas qu'une théorie "marche" ou qu'elle ne marche pas... et d'ailleurs une théorie ne marche jamais, puisqu'elle n'a pas de jambes.

Une théorie décrit correctement ou non les phénomènes, et, dans le cas des viandes, notamment, elle ne les décrit pas du tout.




3. "Mais pour la cuisine végétale, celle-ci ne garde-t-elle pas encore toute sa pertinence ?"


Commençons par observer que l'expression "cuisine végétale" est fautive : cuisiner des végétaux, ce n'est pas faire une "cuisine végétale" (c'est ce que l’on nomme la faute du partitif, en français).

Mais surtout, non, désolé, mais la théorie de la concentration et de l'expansion (dont je rappelle qu'on ne sait pas d'où elle sort, puisque personne ne l'a établie, ce qui aurait été impossible) n'a aucune pertinence, ni pour les viandes, ni pour les végétaux, comme on va le voir plus loin.

Et évidemment, je ne connais aucune publication scientifique qui montrerait que cette classification s'appliquerait aux ingrédients culinaires végétaux… puisqu’elle ne s’applique pas.




4. "Mon choix de garder cette classification pour une cuisine à base d'ingrédients végétaux se base sur le fait que :"


Je répète que, moi qui fait mes études bibliographiques tous les matins, je n'ai encore trouvé aucune indication que la classification fautive qui a été abandonnée pour les viandes puisse s'appliquer végétaux.

Et pourtant, je cherche : je passe mes journées à cela !


J'ajoute que "se baser sur" est un anglicisme, à prohiber, donc, devant des élèves.


Et je pose à nouveau la question : faut-il vraiment une classification, pour évoquer un nombre de procédés de cuisson qui tient sur les doigts des deux mains ? Et en quoi une telle classification aidera-t-elle les élèves ?

Et si l'on veut une classification, alors je recommande celle que j'ai évoquée dans mon livre "Casseroles et éprouvettes", ou dans "Mon histoire de cuisine". Elle est toute simple (et juste), puisqu’elle considère la manière dont on transmet la chaleur à l’aliment, viande ou légume.


Mais surtout, pourquoi conserver cette théorie, si elle est douteuse ? Quelle indication pourrait nous la faire conserver ?

Le fait qu’on nous l’a enseignée ? Ne répétons surtout pas les erreurs de nos prédécesseurs : nos élèves seraient en droit de nous le reprocher.

J'entends bien que mon interlocuteur va énoncer des "faits"... mais a-t-il fait des mesures ? des analyses ? des observations au microscope ? Non, non et non. Donc il ne devrait certainement pas adhérer à une idée qui traîne... d'autant qu'elle est ancienne et que, en science comme en médecine, ce qui est ancien est périmé, et pas emprunt d'une grande sagesse : nos anciens n'avaient aucune des bases intellectuelles que nous avons aujourd'hui. Ils ignoraient l’existence des protéines, de la structure de la viande, des réactions de glycation, ils avaient des idées fausses à la pelle, que nous réfutons expérimentalement une à une depuis vingt ans dans les Séminaires de gastronomie moléculaire. N’ai-je pas vu des chefs triplement étoilés qui écrivaient que l’on pouvait atteindre 130 °C dans une casserole avec un couvercle ? Ou que le fait masser une viande avec du beurre aurait fait entrer le beurre dans la viande ? Ou que des bouchons de liège auraient attendri les poulpes ? Ou que les mayonnaises rateraient si les jaunes et l’huile n’étaient pas à la même température ? Ou que l’on cesserait de pleurer en épluchant des oignons si l’on mordait une cuiller en bois ?

Et, pour revenir aux « anciens », n’oublions pas trop vite qu’ils s'éclairaient à la bougie, mouraient quand des micro-organismes pathogènes les attaquaient, que les femmes mouraient en couches d'infections, et les enfants n’atteignaient pas souvent l’âge adulte, que l’on vivait dans des espaces sans autre chauffage que du feu de bois... Ce n'est pas un monde que j'envie !




5. "Cuisson par concentration"


Ah, débarrassons-nous vite de cette expression détestable ! Vite ! Pour les légumes comme pour les viandes !




6. "o La cuisson d'un aliment dans un milieu sec (rôtir, sauter, deshydrater…) concentre les goûts et certains parfums par évaporation de son eau de constitution."



Mon interlocuteur écrit que la cuisson dans un milieu sec concentrerait les goûts. Mais que veut-il dire par "concentrer les goûts" ?

Veut-il dire que les goûts sont plus puissants ? D'ailleurs est-ce quelque chose qu'il a mesuré ? Il faut surtout observer que le goût change : une carotte revenue, brunie par le caramel qui s’est formé par réaction de ses sucres (glucose, fructose, saccharose) a plus de goût de caramel à l’extérieur, et moins de goût de caramel à l’intérieur, mais elle a évidemment plus de goût (faible!) de carotte à l’intérieur qu’ à l’extérieur. .


Cela étant établi, il faut questionner les mots "goûts" et "parfums".


Un goût, c'est la sensation qui résulte de très nombreuses perceptions :

- les saveurs (et il y a plus que quatre saveurs, car la théorie ancienne, à nouveau, est tout à faire erronée!)

- les odeurs (perçues quand des molécules odorantes passent dans le nez, quand on met l’aliment en bouche, puis à nouveau perçues quand on mastique l’aliment, ce qui libère les molécules odorantes au rythme de la mastication, leur permettant de passer de la bouche au nez par les fosses rétronasales, en arrière de la bouche)

- des perceptions "trigéminales" (les piquants, les frais...)

- des perceptions des acides gras insaturés à longue chaîne (découvertes par des physiologistes de Dijon il y a une vingtaine d’années)

- des perceptions des ions calcium

- la température

- la consistance

- et ainsi de suite.


Oui, le goût change quand on cuit... mais que signifie "concentrer les goûts" ? Imaginons que la saveur soit réduite et l'odeur augmentée (cela m'arrache la bouche de parler ainsi, mais c'est pour expliquer) : le « goût » serait-il « concentré » ?

Et entre une carotte crue ou une carotte rôtie : le goût de carotte crue est moindre, dans la carotte rôtie... Alors, quel goût est « concentré » ?


Le mot « parfum », maintenant. C’est une appréciation « agréable », donc qui n’a rien à faire ici, puisque le bon des uns n’est pas le bon des autres. Parlons éventuellement d’odeur… qui ne se concentre pas. Et évitons de parler d'arôme, puisque l'arôme est l'odeur d'un aromate, ce que ne sont pas un poireau, un artichaut ou une pomme de terre. Il y a des odeurs (anténasales) et des odeurs rétronasales.


D'autre part, si mon interlocuteur avait disposé de moyens de mesure, il aurait observé qu'il y a des goûts qui disparaissent, et des goûts qui apparaissent.

Par exemple (un parmi mille !), une étude a bien établi que certains composés importants pour le goût de tomate disparaissent entièrement lors de la production de concentrés de tomate, en même temps que l'eau. Est-ce une "concentration", cela ?


Et puis, mettons simplement notre nez au dessus d'un plat de carottes que l'on fait sauter : oui, il y a des "jus" qui sont éliminés, notamment de l'eau avec les trois sucres principaux des végétaux que sont D-glucose, D-fructose et saccharose (et ces sucres caramélisent : j'utilise le mot dans une acception parfaitement juste, dans ce cas tout particulier), mais il y a aussi des composés odorants, des composés à action trigéminale, etc.


D'ailleurs, ce cas est intéressant, puisqu'il me permet d'ajouter que la « bioaccessibilité » de certains composés est modifiée : par exemple, le carotène bêta est plus assimilable, plus "libre", dans une carotte cuite que dans une carotte crue... et cela n'a rien à voir avec les jus, mais seulement avec la modification de la consistance.


J'ajoute à ce propos que la cuisson des tissus végétaux amollit ces derniers (parfois) en modifiant les pectines, ce qui forme de nouveaux composés, qui ont « du goût » : les pectines sont des polysaccharides, et des sucres sont libérés.


Tout cela étant dit, mon interlocuteur me donne aussi la possibilité d'évoquer le phénomène nommé « entraînement à la vapeur d'eau », avec lequel les sociétés de parfumerie extraient des composés odorants des matières végétales. Pour ne pas me répéter, je renvoie à mon livre Mon histoire de cuisine, où j'ai expliqué la chose en détail.


Oui, une partie de l'eau des légumes est évaporée quand les légumes sont chauffés... mais, cette fois, pas de contraction, puisqu'il n'y a pas de tissu collagénique. Seulement l'eau des cellules (je rappelle qu'un tissu végétal est fait de petits « sacs vivants » agrégés, les « cellules ») qui s'évapore des zones où la température est supérieure à 100 °C. D'où la formation d'une croûte... qui a une couleur et un goût qui résulte des transformations moléculaires associées à cette formation de croûte.


J'insiste : dans les cuisson, il y a les composés qui restent, les composés qui partent, et les composés qui se forment. Il serait simpliste de raisonner seulement en terme des deux premières catégories... puisque les composés nouvellement formés sont essentiels, surtout dans les cuissons avec brunissement.




7. "o Durant une friture l’aliment aqueux va se fermer au contact de l’huile chaude et il va se colorer."


Un « aliment aqueux » ? Qu'est-ce que cela signifie ? Les aliments ne sont pas « aqueux », mais ils renferment de l'eau. J'insiste un peu sur la correction du langage, surtout dans l'enseignement : si nous voulons nous faire comprendre des apprenants, ne nommons pas « chien » un animal qui fait « miaou ».


D'autre part, une information : les tissus végétaux, comme les tissus animaux, sont tous faits de beaucoup d'eau... puisqu'ils sont faits de cellules, et que ces dernières sont pleines d'eau.


Posons donc la question plus justement : un tissu végétal se « fermerait »-il au contact de l'huile chaude ? Et là, notre interlocuteur le dit... mais j'aimerais bien qu'il puisse en apporter la preuve... parce que cela n'est sans doute pas vrai !

Ce que je sais, moi, c'est qu'un tissu végétal est fait de cellules groupées en différentes zones. Par exemple, pour la carotte, une rondelle est faite d'une partie corticale (autour), d'un parenchyme, d'un cambium, d'un coeur. Pour certaines zones, les cellules sont simplement agrégées, mais pour d'autres zones, il y a des « canaux » qui montent la sève brute (principalement de l'eau et des ions minéraux) et d'autres qui descendent la sève élaborée (de l'eau, des sucres, des acides aminés). Ces canaux ont pour nom xylème et phloème.


Pour les carottes, les canaux sont ouverts, quand on coupe des rondelles, et pour les « feuilles », il y a aussi des stomates. Mais ces ouvertures se ferment-elles ? Je n’en ai aucune indication.

Et puis, le fait que l'on récupère un caramel ou un corps gras qui a beaucoup de goût quand on sue des légumes montre que des échanges se font. S'il y a « fermeture », il n'y a en tout cas pas d'étanchéité... d'autant que, si l'on met un échantillon de tissu végétal dans une friture, on voit des bulles : c'est de l'eau, sous forme de vapeur, qui traverse la surface : rien d'étanche, donc.


Pour la coloration, enfin, c'est une réaction qu'il a rien à voir avec les canaux ; elle se fait partout et la surface et non pas seulement à l'endroit des canaux.




8. "o Jeter un aliment dans de l’eau chaude à tendance à le saisir et à le fermer et à ainsi freiner la sortie de ses composés chimiques. Bien sûr dans la cadre d’une cuisson rapide."


Mon interlocuteur nous dit que jeter un aliment dans l'eau chaude a tendance à le « saisir »... mais, au fait, à quoi voit-il cela ? A quoi correspond ce prétendu saisissement ? J'aimerais bien qu'il me le dise, parce que je n'ai rien vu de tel.

Il nous répète que cela « ferme » l'aliment, mais quelle preuve a-t-il ? Quant aux « bien sûr », j’aurais tendance à être prudent, non ?


« Freiner » la sortie de ses composés chimiques : là, le mot « freiner » devrait être remplacé par « ralentir », mais passons sur ce détail. Ce qui m'arrête surtout, ici, c'est « composés chimiques ». Un composé est un composé, et il n'est « chimique » que s'il est étudié par un chimiste. Donc pas de composés chimiques (ne pas confondre avec « composé de synthèse », ni avec « composé artificiel ») dans les tissus végétaux : seulement de l'eau, des pectines, des celluloses, des hémicelluloses, des sucres, des acides aminés, des protéines, des lipides, etc. De quels composés notre interlocuteur parle-t-il ?


Et puis, comment peut-il affirmer que jeter un aliment dans l'eau chaude ralentirait la sortie de composés ? Et puis, ralentir par rapport à quoi ?

De toute façon, au contraire l'eau chaude favorise la sortie des composés qui peuvent sortir : sucres, acides aminés, etc. Nous avons eu, dans mon groupe de recherche, une thèse qui explore précisément cela, et j'invite chacun à comparer les sorties de sucres aux différentes températures. D'ailleurs, on sait bien que les extractions se font mieux à chaud qu'à froid. Tiens, essayez donc de préparer du thé à l’eau froide, et vous verrez.


D'autant que, à chaud, les parois végétales (celluloses, pectines, hémicelluloses) sont dégradées, comme je l’ai indiqué plus haut.




9. "Cuisson par expansion"


Allons, oublions maintenant cette terminologie ! La carotte ne s'expand pas, quand on la cuit, et, d'ailleurs, sa masse ne change pas notablement.

Et si l'on parle des composés extraits, ce n'est pas une expansion, mais une extraction.




10. "o La cuisson longue d’un aliment dans un liquide fait sortir ses composés chimiques dans ce liquide."


Il y a maintenant une « cuisson longue » : oui, plus on cuit longuement, plus on extrait : voir la thèse sur le bouillon de carotte dont j'ai parlé précédemment.


Mais à nouveau : ne parlons pas de composés chimiques, mais seulement de composés.




11. "o La cuisson du froid vers le chaud (pocher départ à froid) favorise la sortie les composés chimiques des aliments."


Une « cuisson du froid vers le chaud » ? Notre interlocuteur veut sans doute parler de cuisson dans l'eau avec départ à froid ?


Observons d'ailleurs qu'une telle cuisson n'est pas un pochage, terme qui désigne classiquement l'inverse d'une « infusion » (pensons aux feuilles de thé, dans l'eau bouillante dont la température diminue).


Le départ à froid favoriserait la sortie des composés ? Où notre ami a-t-il vu cela ? Quelle preuve en a-t-il ? Quelles mesures a-t-il faites pour l'établir ? J’ajoute que ces questions peuvent être posées pour bien des idées culinaires, et, mieux, que l’on aurait raison de les poser plus que cela n’a été fait.




Puis, une suite à ma réponse


En substance, j'ai dit une partie de ce qui précède à mon interlocuteur par oral, en lui promettant de mettre tout cela par écrit... ce qui me prend un temps précieux, mais que je fais parce que je pense à tous les élèves qui veulent apprendre des choses justes.


Cela étant, avant même que je puisse faire ce billet, mon interlocuteur m'a envoyé un nouvel email, avec ce qui suit :


Pour être sûr d’avoir bien compris notre échange téléphonique :

Extraction en milieu humide

Si je comprends bien, les techniques de cuisson "pocher départ à froid" et "pocher et départ à chaud" n'ont pas de différences significatifs quant à l'extraction des molécules sapides et odorantes ?

Du coup concrètement :

- Le conseil d'un Régis Marcon dans son dernier livre sur les légumes (cf image en pièce-jointe) de pocher départ à froid les légumes pour leur retirer leur "goût amer" n'a pas lieu d'être ? Jeter le même légume dans de l'eau bouillante aurait retiré ce "goût amer" de la même façon, et même plus rapidement grâce à la chaleur ?

- La recette traditionnelle de la crème d'ail consistant d'abord à pocher départ à froid des gousses d'ail épluchées pour "sortir" leur piquant dans l'eau pourrait tout aussi bien marcher (et même plus rapidement) en les pochant départ à eau ?

Ainsi il vaudrait mieux dans tous les cas pocher départ à chaud pour obtenir une perte volontaire de molécules sapides plus rapide et donc de diminuer la perte des autres molécules sapides, des molécules odorantes et des nutriments dans l'eau de cuisson ?

Dans quels cas pocher départ à froid peut-il avoir une utilité par rapport à pocher à chaud ?

Si je n'ai pas encore bien compris, pourriez-vous me renvoyer vers de documents de recherche/vulgarisation m'expliquant les choses précisément ?

Choix Nouvelles Classification

Si cela vous convient, je vais opter pour la classification :

- Cuissons Humides (pocher, étuver...)

- Cuissons Sèches (sauter, rôtir, torréfier...)

- Cuissons Mixtes /ie Sèches puis Humides ou l'inverse/ (ragoût, poêler, braiser...)

Sel

Quel type de sel ralentit la cuisson des végétaux ?




Et là, il y a encore beaucoup à dire.


Oui, là encore, j'ai matière à donner des explications supplémentaires, et cela par écrit afin que chacun puisse lire lentement, à son rythme, mieux que dans une rapide conversation téléphonique.




1'. "Extraction en milieu humide"


Une extraction en milieu humide ? Je salue d'abord mon interlocuteur qui parle maintenant d'extraction, plutôt que d'expansion. Je le félicite vivement d'avoir su changer, au vu des arguments qui lui ont été donnés.


Cela dit, mon interlocuteur fait encore une confusion car une solution aqueuse n'est pas un "milieu humide" : l'humidité, c'est quand il y a peu d'eau dans un gaz, comme dans un poêlage (dans un poêlon, pas dans une poêle), par exemple. Mais ici, je vois bien à la suite de son texte qu'il parle de cuisson dans l'eau. On pourrait parler d' « extraction dans l’eau ».




2'. "Si je comprends bien, les techniques de cuisson "pocher départ à froid" et "pocher et départ à chaud" n'ont pas de différences significatifs quant à l'extraction des molécules sapides et odorantes ?"


Là, je retrouve le mot "pocher", qui n'est pas juste. Mettons le de côté, puisque j'en ai déjà parlé.


En reformulant, je n'ai certainement pas dit qu'il n'y avait pas de différence d'extraction selon que l'on extrait dans l'eau à partir d'eau froide ou à partir d'eau chaude... parce que je ne sais pas ce que l'on compare. Les ingrédients séjournent-ils, par exemple, le même temps ? Et la quantité de chaleur transmise est-elle la même ?


Mais, surtout, la cuisson dans l'eau départ a froid fait des résultats très différents de la cuisson dans l'eau départ à chaud... comme on peut l'observer en mettant des rondelles de carottes dans l'eau froide ou tiède : les rondelles durcissent au point qu'on ne peut plus, ensuite, les amollir ! En effet, les températures chaudes mais douces activent des enzymes qui font libérer des ions calcium, lesquels sont importants pour "ponter" les pectines", et durcir les légumes.

C'est essentiel, notamment pour durcir des cornichons que l'on veut conserver longtemps dans le vinaigre sans qu'ils se défassent... et important aussi pour la moderne "cuisson à basse température", surtout quand la température est inférieure à 80 °C environ... mais c'est une autre histoire.


Quant aux effets sur les composés sapides ou odorants, il y a donc la question de la durée de la cuisson.


Mais à ce stade, je vois surtout qu'il me manque une discussion préalable des « objectifs ». Au fond, de quoi parlons-nous ? Que voulons nous ? Cuire des légumes ? Leur donner du goût ? Les attendrir ? Les faire changer de couleur ? Les faire changer de goût ? C'est seulement quand on aura répondu à ces questions que l'on pourra se préoccuper des molécules sapides, odorantes, à action trigéminale, des ions calcium, etc. Et l'on n'oubliera pas qu'il n'y a pas seulement des extractions, mais également des réactions.


Et cela me fait penser à inviter mon interlocuteur à aller voir les « 14 commandements de la cuisine » que j'avais donnés dans mon livre Mon histoire de cuisine. S’il y a enseignement, je recommande de commencer ainsi.




3'. "Du coup concrètement : le conseil d'un Régis Marcon dans son dernier livre sur les légumes, de pocher départ à froid les légumes pour leur retirer leur "goût amer" n'a pas lieu d'être ? Jeter le même légume dans de l'eau bouillante aurait retiré ce "goût amer" de la même façon, et même plus rapidement grâce à la chaleur ?"


A propos d'amertume et d'âcreté, je renvoie mon interlocuteur à un séminaire où nous avons exploré ces questions. Tout est en ligne sur le site d’AgroParisTech.




4'. "La recette traditionnelle de la crème d'ail consistant d'abord à pocher départ à froid des gousses d'ail épluchées pour "sortir" leur piquant dans l'eau pourrait tout aussi bien marcher (et même plus rapidement) en les pochant départ à eau ?"



Je ne sais pas d'où mon interlocuteur tire sa recette « traditionnelle », mais moi, j'ai une recette « traditionnelle » (un livre ancien) qui me dit de mettre les gousses d'ail cinq fois de suite dans l'eau bouillante.


De toute façon, comme je l'ai expliqué, c'est surtout le fait d'extraire bien les composés qui donnent le goût d'ail qui compte, et cela se fait plus à chaud qu'à froid (nouvelle preuve qu'il n'y a pas de « fermeture »).




5'. "Ainsi il vaudrait mieux dans tous les cas pocher départ à chaud pour obtenir une perte volontaire de molécules sapides plus rapide et donc de diminuer la perte des autres molécules sapides, des molécules odorantes et des nutriments dans l'eau de cuisson ?"


Je n'ai pas dit cela. Mais j'y reviens, quel est l'objectif ? Et là, c'est un trop gros morceau pour répondre.



6'. "Dans quels cas pocher départ à froid peut-il avoir une utilité par rapport à pocher à chaud ?"


Dans quel cas partir à froid ou partir à chaud ? J'ai expliqué que le départ à froid avait l' "inconvénient" de durcir les légumes... quand on n revanche,


Mais pensons plutôt à des objectifs, encore des objectifs, toujours des objectifs. Pour prendre une comparaison, c'est seulement après que j'ai décidé d'aller à Colmar que je peux choisir le chemin qui m'y mène... sinon je risque d'arriver à Brest !



7'. "Si je n'ai pas encore bien compris, pourriez-vous me renvoyer vers de documents de recherche/vulgarisation m'expliquant les choses précisément ?"


C'est fait : commencez par les deux livres cités précédemment.



8. "Choix Nouvelles Classification

Si cela vous convient, je vais opter pour la classification :

- Cuissons Humides (pocher, étuver...)

- Cuissons Sèches (sauter, rôtir, torréfier...)

- Cuissons Mixtes /ie Sèches puis Humides ou l'inverse/ (ragoût, poêler, braiser...)".


Enfin, pour la nouvelle classification, puisque j'ai critiqué l'expression « cuisson humide », au sens de « cuisson dans l'eau », je propose plutôt la classification qui figure dans mon livre « Casseroles et éprouvettes », mais aussi dans mon livre « Cours de gastronomie moléculaire N°1 », et, enfin, dans mon livre « Mon histoire de cuisine ». Je ne dis pas la même chose dans les trois livres.




9. "Sel. Quel type de sel ralentit la cuisson des végétaux ?"


Aucun. Enfin, plus exactement, je ne sais ce que signifie « ralentir la cuisson ». Si la « cuisson » est synonyme d’attendrir, alors le calcium n’est pas bon.

Mais commençons simplement : le sel de table, quand il est très pur, est quasiment limité à du chlorure de sodium. Mais le sel moins raffiné contient du calcium... qui durcit les légumes. Une autre histoire, à nouveau.



Tout cela étant posé, je prie mon interlocuteur de ne pas se vexer d'être ainsi réfuté : qu'il considère surtout que j'ai passé BEAUCOUP de temps à préparer cette réponse, pour l'aider, et pour aider les élèves.

Et je le félicite d’oser m’interroger, au risque que j’abatte ses idées initiales : c’est la marque d’un esprit ouvert, que j’encourage vivement, et que je remercie au nom des élèves qu’il aura.



lundi 30 décembre 2019

Cuire à la cocotte-minute ?

Peut-on cuire raisonnablement avec une cocotte minute ? Personnellement, cela fait longtemps que j'ai arrêté d'utiliser un tel instrument, pour bien des raisons. Et là, un message me conduit à analyser la question plus en détail  :

Monsieur le Professeur,
Suite à vos conseils j’ai réussi une blanquette à la Staub, très onctueuse et tendre (cuisson induction (De Dietrich) à 2 sur 15 pendant 3 heures avec une sonde thermomètre plongée dans la casserole et piquée dans un morceau de veau qui n’a jamais dépassé 90 °C.
Mais ce week end,  j’ai tenté une version rapide du pot au feu à la cocotte-minute et ma viande était très très très dure. La recette (je pourrais dire les recettes car il y en a pléthore sur internet) commandait de jeter la viande dans l’eau bouillante, de fermer la cocotte et d’attendre 50 minutes une fois la cocotte sous pression (la soupape fermée).
Les légumes étaient parfaits, le bouillon aussi, mais la viande avait réduit en taille (30 %) et les morceaux étaient comme contractés sur eux mêmes, rétrécis ou torturés…
Comment peut on envisager une viande braisée à la cocotte minute sous pression dans la mesure où la température de cuisson sera forcément > 100 °C
Dois-je réduire le temps : le site de la marque xxx parle de 30 minutes ?
Est-ce que ceux qui disent avoir fait un pot au feu tendre à la cocotte minute mentent ?
Merci de ne pas m'écharper avec des remarques telles que : un pot au feu ça se fait en cuisson douce et longue et surtout pas à la cocotte pression.
Je voudrais comprendre ce que j'ai raté et comment il faut le faire à la cocotte pression !



Dans le message de nos amis en ligne, il y a deux questions :
1. la cuisson des viandes
2. la cuisson des légumes.



1. Les viandes

Pour les viandes, le "modèle" à conserver est celui d'un faisceau de "fibres" liées entre elles par du "tissu collagénique".
Les fibres ? De longs et très fins tuyaux contenant de l'eau et des  protéines, un peu comme du blanc d’œuf. Et si l'on chauffe, cela durcit, parce que les protéines coagulent ; et plus on chauffe, plus ça durcit.

Le tissu collagénique  ? Un assemblage d'une protéine particulière, le collagène, qui commence à se contracter quand on chauffe la viande ; et quand on chauffe à 100 °C, sa contraction conduit à environ 30 % de contraction... qui fait sortir le jus de l'intérieur de la viande.
Une cuisson longue de ce tissu conduit à sa dégradation, ce qui permet la séparation des fibres, tandis que les fragments de tissu collagénique libérés permettent ultérieurement de faire gélifier le liquide où ils sont partis. Mais il faut insister : dès que l'on chauffe à plus de 55 °C, cette dégradation a lieu. Plus lentement qu'à haute température, mais elle a lieu... et c'est bien là l'intérêt de la cuisson à basse température  : le tissu collagénique se dégrade sans se contracter, de sorte que la jutosité de la viande est préservée, tandis qu'il y a un attendrissage dû à la disparition de ce tissu qui fait précisément les viandes dures ; et le bouillon se charge de gélatine et des "peptides" ou d'acides aminés, qui ont du goût.

Cuire dans une cocotte minute ? La température dépasse 100 °C, de sorte que la viande se contracte. Certes, le tissu collagénique se défait rapidement, mais je n'aime pas le résultat.



2. Les légumes

Pour les légumes, ce sont des cellules jointoyées par une sorte de "ciment" fait de pectine et de cellulose. La cellulose, c'est le coton, et rien ne lui arrive quand on la chauffe, comme le prouve le lavage du linge en coton. En revanche, la pectine se dégrade, et cela correspond à la "dégradation du ciment" : les légumes s’amollissent sans dégâts collatéraux. Pas de problème pour cuire les légumes à la cocotte minute, donc.





Finalement, autant la cocotte minute est efficace pour les légumes, autant elle est médiocre pour les viandes très collagéniques, "à braiser". Mais, inversement, la cuisson à basse température est médiocre pour les légumes, qu'elle durcit, alors qu'elle s'impose pour les viandes. Il faut donc séparer les opérations, si l'on veut faire quelque chose de très bien, n'est-ce pas ?

J'ajoute enfin que la cocotte minute fut inventée par Denis Papin pour faire des "bouillons d'os" : il l'avait nommé "digesteur".











jeudi 1 août 2019

Heureux de vous transmettre une lettre importante, à propos de contenu nutritif des aliments

 Je suis heureux de publier ici un texte de Léon Guéguen, qui figure d'ailleurs aussi sur le site de l'Académie d'agriculture de France à :
https://www.academie-agriculture.fr/publications/articles/retour-sur-cash-investigation-fruits-et-legumes-france-2-18-juin-2019


Retour sur Cash Investigation « fruits et légumes »
(France 2, 18 juin 2019)

Avant l’émission


En automne 2016, j’avais été scandalisé par un documentaire diffusé sur France 5 déclarant que « Au cours des 50 dernières années les aliments ont perdu jusqu’à 75 % de leur valeur nutritive…et il faut 100 pommes actuelles pour le même apport de vitamine C qu’une seule pomme ancienne, et 20 oranges au lieu d’une pour l’apport de vitamine A ».D’autres exemples étaient cités montrant que la plupart des aliments s’étaient « vidés de leurs micronutriments ». Largement reprise par les médias, cette déclaration était un véritable cri d’alarme en faveur du  « c’était mieux avant ».

J’ai donc eu l’idée de comparer, pour les aliments les plus courants, les valeurs des tables récentes de composition (Ciqual-Anses, 2016) avec celles des tables anciennes de Randoin et al. L’édition de 1947 existait dans les archives de l’Académie d’agriculture et celle, plus complète et actualisée, de 1981 m’a été vendue (sur Amazon) par une librairie de vieux livres. J’avais donc procédé à cette comparaison qui avait fait l’objet d’une tribune publiée en 2017 dans la Revue de l’Académie d’Agriculture puis, sous un format plus condensé, dans Sciences et pseudo-sciences.

Plus tard (date non mémorisée), j’ai été sollicité par une personne ayant lu mon article et qui, semblant de bonne foi, se déclarait intéressée par des comparaisons sur des espèces ne figurant pas dans mon tableau et me demandant de lui prêter les tables de 1981. J’ai perdu le souvenir de cette transaction (demande téléphonique sans trace écrite), mais je lui ai expédié ce document par courrier postal. J’ignorais totalement que cette personne travaillait pour la société de production de Cash Investigation. L’aurais-je su que, par souci de transparence (ou naïveté ?), j’aurais quand même prêté ces tables (qui ne m’ont toujours pas été restituées). Les ayant déjà exploitées pour mon article, je les avais perdues de vue et je ne me suis pas ensuite inquiété de leur « disparition ».

L’émission

Dès le début du documentaire, trois affirmations sont fausses, mensongères ou déloyales :

1) Dans une courte séquence d’une minute en début d’émission, sur trois heures d’un tournage-prétexte dans la bibliothèque de l’Académie d’agriculture, la réalisatrice faisait semblant de découvrir une « pépite », alors qu’il s’agissait de mon exemplaire de 1981 des tables de composition…qu’elle possédait déjà depuis longtemps et qui lui avait servi à établir son grand tableau comparatif sur 70 espèces de fruits et légumes. La présence des tables de 1947 dans les archives de l’Académie avait été signalée à la fin de ma tribune, mais pas celles de 1981 qui on servi à faire les comparaisons.

2) Il est dit qu’ils auraient eu « l’idée simple » de comparer les tables anciennes et récentes de composition des aliments…alors que j’avais eu cette idée près de 3 ans plus tôt et qu’il s’agissait de l’objet de mon article publié en 2017 et connu de la réalisatrice.

3) Il est déclaré que «En France, nous n’avons trouvé aucun scientifique pour nous parler de cette baisse des teneurs… », alors qu’elle connaissait au moins un ! Il faut surtout comprendre que mes conclusions, plus critiques et nuancées, ne lui convenaient pas…

Pourquoi l’origine de ce prêt de document ancien et ma tribune sur ce sujet n’ont-elles pas été évoquées dans le documentaire ? Selon la réalisatrice, mon article ne portait que sur un nombre limité de fruits et légumes (ce qui est exact), concernait aussi des céréales, le lait et l’œuf et ne visait pas que les minéraux et vitamines, mais aussi les protéines, les lipides et les glucides. Curieux motif de rejet ! De plus, contrairement à leur étude, j’ai présenté des données par espèce végétale, tandis qu’ils ont fait des moyennes de 70 espèces dans le but de montrer des « tendances » d’évolution des teneurs. Pour cette raison, mes conclusions seraient « biaisées », voire « partisanes » (?). En revanche, leur méthode aurait été « validée » par David Davis, de l’université du Texas, auteur d’une revue de synthèse sur ce sujet que j’avais citée dans mon article. A noter que « l’effet de dilution » qu’il constate ne conduit qu’à des diminutions de 10 à 20 % des teneurs en quelques micronutriments, avec d’énormes écarts-types limitant leur signification statistique, ce qui est bien loin du « grave déclin » proclamé ! Ces baisses de teneurs sont bien plus faibles que celles constatées sur les 70 espèces traitées dans le reportage, dont seulement trois sont annoncées à l’antenne : baisses moyennes de 16 % pour le calcium, de 26 % pour la vitamine C et de 48 % pour le fer. Et les autres micro-nutriments ? Pourquoi ne sont-ils pas évoqués !

En fait, dans l’émission, il n’est pas seulement question de moyennes mais aussi d’exemples précis et répétés destinés à frapper l’opinion : perte de 26 % du calcium et de 31 % de la vitamine C du haricot vert, perte de 59 % de la vitamine C de la tomate…mais, évidemment, aucun exemple d’augmentation des teneurs n’a été cité. Et pourtant, en ne considérant que les espèces végétales de mon tableau, si plusieurs diminutions de teneurs ont aussi été constatées (sans que cela soulève un cri d’alarme pour notre nutrition), de nombreux cas de gains de nutriments ont aussi été constatés. En voici des exemples :

Pomme de terre : +27 % de vitamine C
Poireau : +50 % de fer et +70 % de beta-carotène
Chou : +38 % de calcium et +40 % de fer (intéressant car le chou est l’une des principales sources végétales de calcium)
Haricot vert : +67 % de zinc
Carotte : +38 % de beta-carotène
Pomme : +30 % de magnésium et +50 % de zinc

De tels exemples existent certainement aussi dans le grand tableau furtivement présenté dans l’émission (que je n’ai pas pu me procurer malgré ma demande réitérée) et Elise Lucet aurait aussi pu le dire (n’est-ce pas du cherry-picking ?). Quant à la “déconfiture” observée pour le fer dans certains fruits, elle est simplement due au fait qu’ils ne contiennent pratiquement pas de fer et que ces très faibles valeurs, même avec des pertes apparentes pouvant atteindre 75 %, sont sans signification pratique.

Selon la réalisatrice, le plus important n’est pas de constater des variations pour les espèces individuellement, mais de montrer des tendances sur des moyennes de 70 fruits et légumes, tous dans le même panier. Or cette méthode est pour le moins critiquable et trompeuse quand on raisonne, sans aucune pondération en fonction des teneurs absolues, sur des moyennes de pourcentages de diminutions dont certaines sont énormes, peu fiables et sans intérêt nutritionnel lorsque les teneurs absolues sont très faibles (cas du calcium de la pomme, du fer des fruits…). Les pourcentages moyens de variations sont alors artificiellement gonflés, sans que cela présente un quelconque intérêt pour le nutritionniste. En effet, ce qui importe pour la nutrition c’est l’évolution des teneurs dans les aliments qui sont des sources significatives de micronutriments, par exemple le chou pour le calcium ou la pomme de terre pour la vitamine C, mais pas celle du fer dans des fruits qui n’en contiennent pratiquement pas. De même, il importe peu au producteur de chou ou de pomme de terre de savoir que les teneurs moyennes pour les 70 espèces ont baissé de 16 % pour le calcium et de 26 % pour la vitamine C, mais que ces teneurs ont augmenté de 38 % pour le calcium dans le chou et de 27 % pour la vitamine C dans la pomme de terre.
Alors, quelles sont les conclusions « biaisées » ?

Quoi qu’il en soit, et comme j’ai pris la précaution de le préciser dans mon article, ces comparaisons des tables doivent être faites avec un bon sens critique et beaucoup de réserves. Toutes les valeurs fournies sont affectées d’un gros écart-type, même si celui-ci n’est pas indiqué dans les tables anciennes dont les valeurs sont souvent sujettes à caution. Mettre l’accent sur quelques différences qui semblent importantes (surtout quand elles sont exprimées en pourcentages) n’a pas grande signification.

Conclusion


Non, nos fruits et légumes n’ont pas été au fil du temps « vidés d’une bonne partie de leurs nutriments » ! Quelle que soit la méthode utilisée pour évaluer cette évolution depuis 60 ans, la bonne (celle de Cash, bien sûr !) ou la plus mauvaise (la mienne !), on peut constater une tendance moyenne à la baisse des teneurs en quelques micronutriments dans certains fruits ou légumes, probablement due à un certain effet de dilution pour des variétés à plus gros rendement et à plus forte vitesse de croissance, parfois pour des fruits récoltés avant maturité complète. Cependant, non seulement ces baisses moyennes ne sont pas dramatiques mais elles ne traduisent pas le fait que certaines espèces sont maintenant plus riches en certains minéraux, oligoéléments ou vitamines, ce que le reportage se garde bien de signaler.

Une très bonne synthèse des connaissances sur ce sujet, plus complète que la revue de D. Davis, a été rédigée en 2017 dans le mémoire de master de l’université libre de Bruxelles par Emilie de Riollet de Morteuil sous le titre : « Analyse de la réalité du déclin de la valeur micronutritionnelle de nos aliments de base depuis la Révolution Verte et recherche de ses causes». Ce mémoire, qui cite mon article, n’est pas connu de l’équipe de Cash. Ses conclusions sont en bon accord avec les nôtres, ce qui est réconfortant…

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas d’un « grave déclin » des teneurs en micronutriments des fruits et légumes dont l’impact nutritionnel, dans le cadre d’un régime alimentaire global, serait significatif.

 Et halte à la course à l’audimat par des émissions anxiogènes sur la nutrition, alors que notre alimentation n’a jamais été aussi diversifiée, aussi saine et aussi accessible au plus grand nombre !

Léon Guéguen
Directeur de recherches honoraire INRA et membre émérite de l'Académie d’Agriculture de France



On aura compris que Cash Investigation est pris en flagrant délit de malhonnêteté ! Quelle honte pour le service public.

vendredi 9 mars 2018

Questions de vitamine C

A propos de vitamine C, je reçois ce matin un message :

"J'ai l'impression que les fruits et légumes d'aujourd'hui, même issus de l’agriculture biologique, sont grandement dépourvus de vitamine C. J’ai en effet observé qu’aujourd’hui, à la découpe, la plupart des fruits et légumes ne noircissent plus. Dans le temps, je me souviens avoir souvent utilisé un jus de citron pour stopper l’oxydation et ainsi reconstituer la molécule d’acide ascorbique. Cet été, j’ai eu le bonheur de ramasser dans un verger (non traité, non traité, quasi à l'abandon, différentes variétés de fruits  et j’ai observé que ceux-ci noircissaient rapidement après découpe. J’en ai déduis qu’ils étaient riches en vitamine C puisque non manipulés (OGM, traitement etc.).
Est-il juste d’affirmer cela ? Comment puis-je en apporter la preuve scientifique ?

Je commence par la fin : la science n'apporte pas de "preuve", puisque cela n'est pas son objectif. Elle se limite à établir des faits, en vue de produire des théories qui sont sans cesse affinées.
Une mesure de la teneur en vitamine C ne serait donc pas une "preuve scientifique", mais une simple preuve...

... en supposant que ce soit vraiment une preuve. En effet, imaginons que l'on prenne un échantillons de fruits, bio ou pas, où l'on doserait la vitamine C : on n'aurait de supériorité éventuelle que sur un échantillon, et pas sur tous les fruits. Bref, on n'aurait qu'une indication probable... à  condition d'avoir travaillé rigoureusement, d'avoir comparé des variétés identiques, cultivées de la même façon à l'exclusion du traitement, dans le même verger, etc. Dès qu'il y a des statistiques, il n'y a pas de preuve, mais des indications plus ou moins probables.

Mais arrivons maintenant à l'observation de notre correspondant. Je commence par quelques données :
1. quand on coupe un végétal, cela libère des polyphénols et des  enzymes polyphénoloxydases
2. ensemble, sans vitamine C, enzymes et polyphénols réagissent pour faire du brun
3. la vitamine C, et d'autres composés, préviennent ce brunissement (d'ailleurs, orange et citrons, riches en vit C, ne brunissent pas)
4. la vitamine C qui empêche le brunissement est "consommée" par la réaction

Autrement dit, les fruits observés par notre correspondant ne contenaient pas beaucoup de vitamine C, contrairement à ce qui était dit.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)    

samedi 20 janvier 2018

Une nouvelle question, pratique



Petite question pratique : j’épluche mes légumes et je les mets dans une marmite remplie d’eau bouillante. Après 20 mn, je mixe le tout : ma soupe est prête.
Quelle différence entre cette méthode et celle où je mixe en premier (eau+légumes), puis la cuisson ensuite ?


J'observe d'abord que mon interlocuteur confond soupe et potage. Une "soupe", c'est une tranche de pain, et le potage est le liquide avec lequel on peut tremper la soupe.  Et c'est pour cette raison qu'il y a ce tableau célèbre intitulé "La trancheuse de soupe", ou encore le code des sauces et potages.

Mais la question est différente, et je me réjouis d'être capable, face à une alternative, de choisir toujours une autre solution que l'une des deux qui me sont proposées. Quand mes enfants me demandaient "pile ou face ?", je répondais "la tranche".
Car c'est bien cela qu'il faut faire ainsi. On trouvera, dans un compte rendu d'un ancien séminaire les résultats d'expérimentations à ce propos, avec des carottes, où nous avons bien montré qu'il était essentiel de commencer par "suer" les légumes, c'est-à-dire les faire revenir à feux doux dans un corps gras. Et nous avons même exploré la chose au laboratoire. Le résultat est bien supérieur, sans doute parce que les composés odorants sont dissous dans les graisses, lesquelles sont ensuite émulsionnées.

Mixer ? Disons simplement qu'il faut bien moins d'énergie quand on mixe des légumes cuits, pour lesquels le ciment intercellulaire est dégradé par la cuisson.






Vient de paraître aux Editions de la Nuée Bleue : Le terroir à toutes les sauces (un traité de la jovialité sous forme de roman, agrémenté de recettes de cuisine et de réflexions sur ce bonheur que nous construit la cuisine)